Usine métallurgique
Ressources du sous-sol et leurs transformations >> Argiles
- Département : Lot-et-Garonne
- Canton : Fumel
- Commune : Fumel
- Siècle : 19 et 20
POURQUOI UNE USINE METALLURGIQUE A FUMEL?
Pour au moins 6 raisons logiques et évidentes,
1) d’abord une tradition métallurgique et artisanale locale bien implantée dans la vallée de la Lémance, on pourra donc y trouver une main d’œuvre préparée à cette activité. (On trouve le long de son cours : 12 moulins à fer, 7 moulins à papier, 5 forges et 4 foulons)
2) la présence de minerai de fer en grande quantité dans un rayon de 20 kms autour de Fumel, à même le sol ou d’extraction facile.
3) la présence de gisements de castine, indispensable comme fondant pour les hauts fourneaux
4) la relative proximité du coke amené de Carmaux et de Campagnac par voie fluviale qui est très active à cette époque et qui permet le commerce avec Bordeaux et son port. Fumel se trouve sur le trajet du grand axe méridional Millau – Tonneins.
5) la présence d’eau qui sert à refroidir et à évacuer les scories des hauts fourneaux, le laitier.
6) l’énorme besoin en sidérurgie au moment où on construit le réseau ferré sur tout le pays qui est le grand défi de ce siècle. En effet en quelques années ont édifie les lignes ; Bordeaux- Agen en 1856 ; Agen Périgueux en 1863 ; Agen- Auch en 1865 ; Libos- Cahors en 1869.
Au milieu de XIXème siècle quand l’usine de Fumel voit le jour, les fonderies artisanales de la vallée de la Lémance n’ont plus qu’une vingtaine d’années à vivre, elles produisent encore des chaudières et du petit matériel ménager et agricole, Fumel ayant d’emblée une vocation industrielle ne sera pas un concurrent pour ces fonderies artisanales.
LES PROPRIETAIRES
Créée en 1847 par la Société Benoist d’Azy, Drouillard, Léon Valès et compagnie pour exploiter le minerai de fer local, elle comporte, à cette époque, un haut fourneau et une fonderie qui produit essentiellement du matériel ferroviaire. Ce haut fourneau consommait 100 tonnes de minerai et 20 tonnes de castine chaque jour pour une production de 40 tonnes de fonte quotidienne. Un terrain de 10 hectares a été acheté au baron de Langsdorff au lieu dit la métairie Basse. La ville de Fumel a rendu hommage au créateur de son industrie métallurgique en lui donnant le nom de son lycée d’enseignement professionnel. A cette époque un représentant du P.O est à Fumel en permanence pour réceptionner ce matériel
C’est d’ailleurs son principal client, la Compagnie des Chemins de Fer Paris-Orléans qui la rachète en 1856. Elle produit alors du matériel pour voies ferrées : coussinets, plaques tournantes, grues fixes, systèmes hydrauliques, semelles et sabots de frein. De plus la qualité de la fonte grise reconnue à la production fumeloise se prête particulièrement à cet usage. Le traité de libre échange avec l’Angleterre occasionne le premier souci à l’usine avec extinction provisoire des fours, en 1860.
Elle passe dans les mains de la Société de la Vienne en 1864 avant de connaître un essor considérable en 1874 lorsqu’elle est rachetée par la Société Métallurgique du Périgord qui réalise des investissements très importants : ateliers de fonderie, d’ajustage, de montage. La production est diversifiée en lançant la fabrication de tuyaux pour l’adduction d’eau, bornes fontaines, plaques d’égouts, de becs de gaz et de bâtis de machines-outils. L’entreprise occupe 600 salariés en 1880, 1.200 en 1903.
LE MINERAI
En ce qui concerne les minières ferrugineuses, Au point de vue géologique, on classait ce minerai, disséminé à même le sol sous forme de géodes ou de rognons comme appartenant à la période éocène lacustre tertiaire. Du point de vue des récoltants de ce minerai, ils savaient y reconnaître, 4 variétés de fer dur, appelés localement : Minerai mamelonné, fibreux, caillaven jaune et caillaven noir.
Quand aux 3 variétés de fer doux, ils sont appelés : Minerai fusain ou cœur de bœuf (le seul utilisé dans les forges catalane), feuilladi ou en géode.
Ce minerai fort répandu dans la région, se concentrait cependant dans les minières de Cardou, Salat, Moncany, Péméja, Guinot, Jouindille, Pigot, St Front, Sauveterre, Salles et Lacapelle Biron. On parlait d’une poche de 200 mètres à St Martin le Redon.
Cette exploitation était une activité annexe des paysans qui le récoltait pour le porter ensuite dans leurs tombereaux à l’usine métallurgique de Fumel ou ce minerai leur était payé 25 centimes les 50 kilos vers le milieu du XIXème siècle. Vers 1900, un industriel de Cuzorn, Jean Austruy fonde la Société Minière du Sud Ouest qui rassemble toutes les exploitations de la région, malgré cette organisation, la production exige plus de minerai qui sera apporté des Pyrénées. Le coke venait de Decazeville par le Lot jusqu'à ce qu’en 1869 la ligne de chemin de fer Libos Cahors vienne concurrencer le transport fluvial. La castine était exploitée à Fumel, d’abord à Pons puis au dessus de la côte de Condat par l’entreprise crée par le futur sénateur Belhomme. Le contrat qui liait la société Belhomme concernait la livraison de 100 tonnes de castine par jour, pour ce faire, le transport en tombereau qui avait été en service jusqu’alors étant insuffisant, c’est à ce moment qu’est bâti un téléférique qui descend la castine par-dessus la côte de Condat, pour l’amener sur une barge qui descend le Lot sur 2 kms et la livre à l’endroit de l’élévateur de castine. On peut encore voir le pilier intermédiaire qui soutenait ce téléférique, en descendant la cote de Condat. Cette carrière sera abandonnée vers 1965. C’est la carrière de Montcabrier qui prit la suite.
LA RECONNAISSANCE
A l’époque ou les médias n’existaient pas, la meilleure façon d’être reconnu sont les Expositions Universelles, à celle de 1878, les fondeurs de Fumel envoient à Paris une statue de la Paix (œuvre de Cambos), coulée dans les ateliers fumelois elle est placée sous un porche en fonte et obtient une médaille. Cet ensemble à longtemps été exposé à l’entrée de l’usine. A l’Exposition Universelle de 1900, la production de la SMP sera hors concours. Elle obtient le grand prix de l’exposition d’Hanoï en 1902.
C’est en 1895 que se structure un syndicat ouvrier qui deviendra vite un important organisme pour la défense des intérêts ouvriers.
LES AMELIORATIONS
La première est certainement est la pose d’un récupérateur de gaz des hauts fourneaux qui aura deux fonctions1) fabriquer de la vapeur avec des chaudières Babcok 2) économiser le combustible par l’intermédiaire de cuves Cooper
En 1870 on installe la 2éme machine de Watt, gigantesque soufflet pour activer la combustion du haut fourneau, elle remplace une 1ére machine soufflante qui avait été installée en 1854.
Dès 1890, c’est le début de l’électrification on a posé une turbine sur la chute du Lot en face de l’usine, on fait venir aussi du courant qui est produit par la chute du barrage d’Orgueil.
A la même époque on installe un système de téléférique automatisé qui amène des bennes de minerai, de coke et de castine, en haut du haut fourneau remplaçant un double monte charge le long du haut fourneau qui était utilisé jusqu’alors et qui était desservi par 2 ouvriers qui accompagnait le wagonnet pour charger le haut fourneau, une plate forme montait quand l’autre descendait.
En 1903 la production destinée au matériel ferroviaire du P.O se monte à : 245 600 tonnes de coussinets, 6400 tonnes de sabots de frein, 743 plaques tournantes, 182 grues de chargement.
En 1908 la superficie de l’usine est portée à 20 hectares dont 25000m2 de bâtiments couverts.
En 1910 est introduit le travail des 3 postes de 8 heures, mais cet acquis sera remis en question durant la guerre de 14-18, auparavant on faisait appel à une équipe qui travaillait 10 heures de suite.
La même année l’usine abandonne une production dont on a peu parlé mais qui a été importante, et qui était une façon d’utiliser un des produits de dégradation des hauts fourneaux, le laitier qui sert de matériau de construction. Il était exploité par une société indépendante de la SMP qui s’appelait la Société des ciments de laitier. Au début de l’exploitation, les préoccupations écologiques n’étant pas à l’ordre du jour, on rejetait ce produit de dégradation, encore en fusion, dans le courant du Lot. Elle abandonne aussi sa production de produit réfractaire pour usage interne, car, en 1910, se crée à Libos, près de la gare, la Société des Produits Réfractaire de Fumel et Libos connue sous le nom de « briquèterie »qui prend le relai de cette activité.
La première guerre mondiale spécialise l’usine dans la fabrication d’obus : 1000000 d’unités d’obus de calibre 155, 33000 obus de calibre 320, 200000 obus de calibre 220
En même temps qu’elle fait appel à un très nombreux personnel féminin pour compenser les départs au front des ouvriers. Elle occupe jusqu’à 3.000 personnes pendant cette période.
La fin de la guerre voit l’installation d’un troisième haut fourneau, le nombre de cubilots passe de 8 à 25 et oblige, bien sûr, l’entreprise à se reconvertir et à revenir à ses productions antérieures, à ce moment la production annuelle en moulages divers est de 60 000 tonnes/ an. Un atelier d’usinage est créé en 1920, car non seulement l’usine a perdu la fabrication des obus, mais la création d’une association de compagnies ferroviaire qui préfigure la SNCF qui ne verra le jour qu’en 1938 et qui fédère la plupart des sociétés ferroviaires adopte le rail vignole à large patin qui remplace le rail champignon, il se fixe sur les traverses par des tires fonds et n’a plus besoin de coussinets, c’est la 2éme épreuve que rencontre l’usine.
L’usine de Fumel prend un nouvel essor à partir de 1933 grâce à des accords passés avec la Société des Fonderies de Pont à Mousson qui investit dans la modernisation de l’outil de production, l’extension des ateliers d’usinage et la construction du barrage hydro-électrique sur le Lot au début de la seconde guerre mondiale. La construction du barrage permet d’éviter le STO à de nombreux ouvriers, au sein de l’usine se crée un réseau de résistants. En 1939, la guerre avait amené la société PAM à rapatrier une grande partie de son personnel lorrain dans ses unités de Brive et de Fumel qui ne sont pas en zone occupée. L’acquisition de plusieurs carrières de minerai (mines de Langeac en Haute Loire, mines de Puymorens en Ariège) et de castine conduisent la société à prendre l’appellation de Société Minière et Métallurgique du Périgord en 1941. Entre les 2 guerres, la production passe de 1500 tonnes à 6000 tonnes/ mois.
La même année, on débute à Fumel la fabrication des tuyaux par centrifugation avec un brevet acheté quelques années auparavant par PAM, c’est une avancée technologique de premier plan, cette technique remplace le moulage vertical employé jusqu’alors. Pendant la guerre, des directives des pompiers mettent au point un système d’alerte et d’action en cas de bombardement aérien, car, on pense reconvertir l’usine en unité de production d’armement comme lors de la 1ère guerre mondiale.
LA PERIODE D’APRES GUERRE
Faute de coke, les hauts 3 fourneaux sont arrêtés en 1944, ce n’est que le 20 juillet 1946 qu’on assiste à nouveau à une coulée de fonte, on a rallumé le premier de ces fours
Dans les années 1950, la fonderie de Fumel prend une dimension mondiale, en particulier dans le domaine de la fabrication des chemises pour les très gros moteurs marins et automobiles. Son savoir faire est alors unanimement reconnu. La fabrication des tuyaux prend aussi de plus en plus d’importance. A la même époque la direction de l’usine développe un vaste programme social en construisant des logements sociaux ce sont les maisons de la rue neuve, la rue Kuntz, la métairie basse, l’avenue Albert Thomas, la rue des écoles à Libos et le premier complexe sportif du département, le stade Henri Cavaillé, on est alors en pleine période de ce qu’on a depuis baptisé ensuite, le paternalisme. Les employés de l’usine bénéficient d’une avancée sociale appréciable qui est la création d’une mutuelle médicale et pharmaceutique, ils bénéficiaient depuis longtemps d’une couverture accident du travail à usage interne bien avant celle que couvrira la Sécurité Sociale. La fondation d’un centre de formation professionnelle prépare des générations au moulage, au modelage, au fraisage, au tournage, à l’électricité et à la forge, cette école a une excellente réputation sur tout le département et est couramment désignée localement sous le nom : « Les arpettes ».Des investissements permanents assurent son extension ainsi que des innovations : la fabrication des tuyaux par centrifugation et surtout la mise au point à Fumel de la fonte ductile qui présente l’avantage énorme de n’être pratiquement plus cassante comme l’était la fonte grise traditionnelle , ouvre ainsi la voie à des fabrications nouvelles. Cette innovation a été ramenée du Canada en 1949 par J. Cavaillé, la licence a été achetée en 1950. La superficie de l’usine est maintenant de 25 hectares
Cette impulsion permet à l’usine de Fumel de connaître son âge d’or au cours des années 1960-1970. A la fin des années 1960, plus de 100.000 tonnes de fonte brute sortent chaque année de ses trois hauts fourneaux, destinées en grande partie à la fabrication des tuyaux d’adduction d’eau mais aussi à la production de toutes sortes de pièces pour l’automobile, des contrats avec les grandes firmes automobiles entrainent la fabrication en grande série de chemises de voiture et de celles de bateaux, en complément de cette activité on développe un atelier chromage pour remédier à la trop grande corrosion des chemises en fonte, on y fabrique aussi des bâtis de machines-outils les célèbres tours AMC qui équipaient quasiment tous les ateliers de tournage de lycées techniques ou de particuliers. En 1962, on crée un service informatique, c’est encore une technologie mystérieuse et peu crédible mais on pense que ça pourra servir.
En 1970, l’usine emploie prés de 5.000 personnes si l’on tient compte des entreprises rattachées et des sous-traitants, c’est le moment ou PAM fusionne avec Saint Gobain est devient un géant de l’industrie mondiale. Le haut fourneau N° 3, en fait le quatrième, qui vient d’être mis en service a une capacité de 200 tonnes /jour, les 2 précédents avaient une capacité de 70 tonnes/jour. Le savoir faire de l’usine est mis à contribution pour fabriquer des éléments de plates formes off shore et surtout, entre 1973 et 1975, les tuyaux du Centre Beaubourg, 28 exactement d’une cinquantaine de mètres, cela fera la fierté de Fumel et élèvera le travail de nos métallurgistes au rang d’œuvre d’art.
En 1979 a lieu le dernier investissement important avec la création du chantier de la chaine automatique de moulage accroissant de 22000 tonnes de fonte ductile la production de l’usine, cette chaine sort 200 moules à l’heure, du matériel essentiellement destiné aux poids lourds et aux machines agricoles (moyeux, carters, pièces de suspension).
LA VOCATION AUTOMOBILE
Le déclin de cette grande unité industrielle s’amorce dès le début des années 1980 avec la crise de la sidérurgie qui a débuté 5 ans auparavant dans le bassin lorrain. La production des tuyaux est transférée dans l’est de la France puis les hauts-fourneaux sont arrêtés en 1987 et leurs cheminées abattues le 30 mai 1989, cet acte symbolique sera vécu de façon nostalgique, sinon triste, par les fumelois en général et par les anciens de l’usine, en particulier. La fonte est, depuis, produite par des cubilots, c'est-à-dire des fours de deuxième fusion ou généralement le minerai est remplacé par du métal recyclé.
En 1988, la Société Pont à Mousson vend cette usine qui devient alors la SADEFA. (Société Aquitaine de Fonderie Automobile) L’usine devient exclusivement une usine de Fonderie et d’usinage de pièces destinées à l’industrie automobile grâce au procédé de la fonte mince. Elle passe ensuite entre les mains de plusieurs repreneurs successifs (La Compagnie Financière de Valois en 1990, la Société Valfond en 1995 et l’Union des Banques Suisses en 1999) avant d’être rachetée en grande partie par ses salariés en 2003 et de prendre le nom de Fumel Technologie.
Aujourd’hui l’entreprise, qui compte moins de 400 salariés, en partie à cause du plan amiante dont certains ont pu bénéficier, s’est concentrée sur la fabrication de pièces pour les plus grands constructeurs automobiles et plus spécialement pour les poids lourds et le matériel agricole qui d’ailleurs emploient de moins en moins d’acier. On peut voir que la partie de l’usine coté Fumel est devenue une friche industrielle, on sait que le barrage est maintenant exploité par un particulier.
En juillet 2007, le contrôle de l’usine a été pris par une société ukrainienne et devient Fumel Detal, filiale du groupe Motor Detal, elle est le siège du centre régional de reconversion technologique(C2RT) qui propose des formations courtes aux métiers de l’industrie en transmettant son exceptionnel savoir faire. Espérons que l’aventure qui a débuté ici, il y a 160 ans, continuera encore longtemps.
photo1) Vue de deux ouvriers en train de confectionner un moule ou sera coulé une pièce en fonte, à noter le jeune age de l'apprenti à leur coté.
Auteur : HEIB Marc
Imprimer la fiche